vendredi 4 mars 2011

001 # Le Cerisier défendu de la connaissance

Ève pesta. Une rose venait encore de griffer sa jambe. Le Jardin, quoique charmant, n'était pas aussi accueillant qu'Adam avait bien voulu lui faire croire. C'était sale, plein de piquants et de bestioles affectueuses mais griffantes et puantes. Si elle était née un jour plus tôt, elle n'aurait jamais laissé Dieu et Adam s'occuper seuls de la décoration.
Après tours et détours, Adam et Ève parvinrent enfin au centre du Jardin. S'y dressait un arbre, pas beaucoup plus grand qu'eux, aux branches lourdement chargées de fruits à la rougeur éclatante. Adam et Ève sentirent l'eau leur venir à la bouche.
Ève tendit une main pour cueillir l'un des fruits. Rouge, rond, gorgé de suc, il semblait n'attendre qu'une chose : être cueilli, être avalé. Elle suspendit son geste et tourna la tête vers son compagnon.
« Ne fais pas ça, chuchota Adam. Tu sais bien que c'est l'Arbre qu'on ne doit pas approcher…
− Mais non, c'est celui d'à côté… »
Ève choisit de ne pas écouter et décrocha de la branche une paire de fruits jumeaux. Leur tige se détacha comme rien. La jeune femme remarqua alors que l'un des fruits semblait avoir patienté trop longtemps, à en juger par sa teinte tirant sur le brun. Quelque chose en perça la surface : un minuscule asticot, qui se hâta de regagner la chair en décomposition. Déposant le fruit sain entre ses dents, elle tendit le premier à son compagnon avec un regard enjôleur.
Adam fronça les sourcils, hésitant. Il constata que la couleur du fruit s'accordait parfaitement avec les tétins d'Ève. Fermant les yeux, il laissa la jeune femme lui glisser le fruit dans la bouche.
Ses dents percèrent sans peine la chair plus que mûre du fruit et un jus sucré descendit dans sa gorge. Alors que sa langue poussait le fruit sans plus attendre au fond de sa bouche, la saveur se fit frelatée. Pourriture. Il hoqueta, voulut recracher la chose, désormais trop engagée dans la gorge. Où elle demeura coincée. La surprise lui fit ouvrir les yeux. En face de lui, Ève croisa les bras sur son opulente poitrine et le dévisagea calmement. Comme un voile rouge commençait à recouvrir sa vision, il tendit la main vers elle. Ève recula d'un pas.
« Chéri… » murmura-t-elle.
Elle regarda Adam porter ensuite ses mains au cou, les yeux exorbités et le teint de plus en plus rubicond. Il s'étouffait, constata-t-elle avec un froid détachement. Elle le laissa s'effondrer à ses pieds et s'agiter dans les derniers soubresauts de l'agonie. Ce qu'un homme est laid, songea-t-elle, avec ses jambes poilues et cet appendice à leur jonction, aussi flasque que ridicule. Elle s'étonna de ne pas s'en être rendu compte avant.
Quand il fut clair qu'Adam n'allait plus se relever, Ève posa les mains sur ses hanches et vit qu'elle aussi était nue. Une première chose à laquelle elle allait remédier. Tout comme ce qui concernait le reste de la Création. Cette verdure omniprésente lui pesait : il faudrait mettre tout ça en rose. Et ôter les épines des roses, limer les griffes des chats, retirer leurs crocs aux lionceaux aux grands yeux, faire disparaître mouches et araignées, peupler le lieu d'êtres à son image, et encore tout plein d'autres choses pour faire de ce Jardin un véritable paradis.

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